Notre cerveau a besoin de nature

Par Christophe André, psychiatre (2012)

Le premier manifeste écologiste rédigé par Henry David Thoreau indiquait déjà à quel point la nature est indispensable à la santé physique et mentale de l’homme, ce que confirment aujourd’hui divers résultats de recherche.

Faites l’expérience lors d’une promenade en forêt, à la campagne, ou même dans un espace vert urbain : si vous demandez aux personnes autour de vous de nommer précisément les espèces d’arbres, d’herbes ou de fleurs qui vous entourent, la plupart seront en difficulté. Nous avons pris une telle distance avec la nature, que bien souvent elle n’est plus pour nous qu’un paysage et un environnement, agréables mais anonymes.

Cela aurait grandement désolé l’écrivain américain Henry David Thoreau (1817-1862), l’un des précurseurs de l’écologie moderne. Toute l’œuvre du génial Thoreau, et notamment son monumental Journal, qui commence enfin à être traduit et publié en français, est parcourue d’une conviction : c’est seulement en restant en contact avec la nature que l’humain touche à sa plénitude, protège sa santé et stimule son intelligence. S’il s’en éloigne, il est en danger.

Aujourd’hui, la science contemporaine donne de plus en plus clairement raison à l’intuition de Thoreau : la nature représente pour l’espèce humaine une source vitale de santé mentale et corporelle, et pas seulement parce qu’elle nous fournit de la nourriture et des plantes médicinales. Sa simple présence est pour nous « thérapeutique ».

Les « bains de forêt » japonais

Les premiers travaux modernes dans ce domaine furent l’œuvre de l’architecte et chercheur américain Roger Ulrich, dont le premier grand article, publié en 1984 dans la revue Science, ouvrit la voie à de nombreuses recherches ultérieures : il y montrait comment le fait de bénéficier de chambres avec vue sur un parc accélère la convalescence des patients hospitalisés après une intervention chirurgicale.

Depuis, ce type de données a été très largement reproduit et confirmé : être en contact avec la nature entraîne des bénéfices cliniques (bien-être accru, diminution des symptômes pathologiques), et biologiques (baisse du cortisol dans le sang, de la pression artérielle, du rythme cardiaque). Dans les villes, les habitants des quartiers proches des espaces verts (parcs et squares) bénéficient d’une meilleure santé que les autres. Et cet effet est indépendant du niveau social (qui influe lui aussi sur la santé, comme on sait) : les « pauvres » habitant ces quartiers (qui sont effectivement souvent plus aisés) en bénéficient aussi.

Les effets de la verdure sont perceptibles même lorsque la nature n’est incarnée que par des images ou des plantes vertes, mais ils sont plus amples encore en cas d’immersions répétées dans la « vraie » nature : de nombreuses études ont prouvé les conséquences favorables de ce que les Japonais nomment le « shinrin- yoku », qu’on peut traduire par bain de forêt (comme il existe des bains de soleil). Les balades en forêt entraînent ainsi des bénéfices biologiques multiples, tels qu’une amélioration des réactions immunitaires dont l’effet persiste environ un mois après deux jours de promenade.

Un bon week-end de marche en forêt pour se protéger, quatre semaines durant, des rhumes et autres refroidissements : intéressant, non ? Et ces effets ne sont pas seulement dus à la marche (qui elle aussi est bonne pour la santé) : pour une même durée, une marche en forêt apporte des bénéfices nettement supérieurs à une marche en milieu urbain.

Il existe donc un bénéfice spécifique lié à la nature et la verdure, à propos duquel on ne peut que formuler des hypothèses : est-ce simplement dû à un environnement calme et harmonieux et à l’absence d’agressions visuelles, olfactives ou sonores ? L’impact est en tout cas très profond puisqu’il est possible d’en observer les traces cérébrales : en laboratoire, le fait de regarder des images de nature entraîne une activité accrue dans le cortex cingulaire antérieur et l’insula (zones associées à la stabilité émotionnelle, l’altruisme, l’empathie), tandis que la contemplation de paysages urbains augmente l’activité de l’amygdale cérébrale (zone de réponse aux stimulus émotionnellement aversifs).

Différents travaux montrent enfin que le contact avec la nature facilite la récupération mentale après des tâches complexes et améliore les performances subséquentes, qu’il renforce la vigilance, l’attention, la mémoire, etc.

La biodiversité, remède au mal-être

L’immersion dans la nature satisfait très certainement des besoins archaïques légués par l’évolution de notre espèce (les environnements verts sont depuis toujours des sources d’eau et de nourriture). Une preuve indirecte réside dans le fait que notre cerveau est sensible, sans que nous en soyons conscients, à la biodiversité : le bien-être que nous ressentons dans la nature est proportionnel au nombre des espèces de plantes et de chants d’oiseaux ! Là encore, c’est logique : nous avons gardé une mémoire ancestrale et inconsciente de ce qui est bon pour nous en termes de res- sources, qu’il s’agisse de leur abondance ou de leur variété.

Bref, le Sequi naturam (suis la nature) d’Aristote représente une cure de bien-être, mesurable en laboratoire. D’où l’appellation utilisée par certains chercheurs de « vitamine V » (V pour vert ; les Anglo-Saxons parlent eux de « G vitamin », G pour green). Mais ce constat scientifique ne va pas sans soulever quelques difficultés, si l’on sait que la diminution du lien à la nature est le destin de la plupart des habitants de la planète.

En 2010, un humain sur deux est un citadin, et ce chiffre va croissant : il est déjà de 80 pour cent chez les Occidentaux, qui passent aujourd’hui plus de temps devant les écrans que dans la nature (screen time contre green time). Il est donc médicalement urgent et écologiquement intelligent pour les spécialistes de santé publique de se pencher à nouveau sur la vis medicatrix naturae des Anciens, la force curative de la nature. Et peut- être aussi de relire Thoreau, et son Journal : « Aucun homme n’a jamais imaginé à quel point le dialogue avec la nature environnante affecte sa santé ou ses maux. »

Christophe André est médecin psychiatre à l’Hôpital Sainte-Anne de Paris.

Bibliographie

  • N. Guéguen et al., Pourquoi la nature nous fait du bien, Dunod, Paris, 2012.

  • A. Logan et al., Vis Medicatrix naturae : does nature « minister to the mind »?, in BioPsychoSocial Medicine, vol. 6, p. 11, 2012.

  • B. Park et al., The physiological effects of Shinrin-yoku (taking in the forest atmosphere or forest bathing) : Evidence from field experiments in 24 forests across Japan, in Environmental Health and Preventive Medicine, vol. 15, pp. 18–26, 2010.

  • R. Mitchell et al., Effect of exposure to natural environment on health inequalities : an observational population study, in The Lancet, vol. 372(9650), pp. 1655-1660, 2008.

  • H.Thoreau, Journal, volume I, 1837-1840, Éditions Finitude.

  • R. Ulrich, View through a window may influence recovery from surgery, in Science, vol. 224, pp. 420-421,1984.

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